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René THALMANN

Déporté

Entretien avec Jacques Cuny

Vous vous souvenez des premières années de la guerre ?

Oui, en 1939, des bombardements. J'habitais sous l'hôpital. En juin 40, mes parents vont faner. Un parachutiste allemand leur a envoyé une rafale de mitraillette.

 

Une période où la France est occupée. 100 000 hommes de troupe à Saint-Dié, repliés.

Un beau jour, je me trouvais place de la Rochotte. Avec des haut-parleurs, ils ont invité les soldats qui étaient là à laisser leur fourniment et à se regrouper pour se rendre jusqu'à Saâles, en colonne. Et là, soi-disant, il y aurait un centre mobilisateur où ils seraient libérés.

A Saâles, les wagons les attendaient. Ils sont montés dedans et sont restés 5 ans en Allemagne.

 

La Résistance

 

A ce moment-là, j'avais 13 ans, tout jeune. Avec un camarade qui avait 2 ans de plus que moi, on a ramassé des armes, notamment des pistolets, révolvers, pensant que ça pourrait resservir un jour. On les a graissés, emballés dans des torchons, on les a enterrés dans des tonneaux métalliques. D'où un stock d'armes. De même que les fusils : on en a cassé plusieurs pour qu'il soient hors d'état en retirant les culasses. C'était un des premiers actes de résistance. Déjà, dans la famille, mon oncle avait été tué en 1918, on m'a toujours un peu enseigné la haine des Allemands.

 

Jusqu'en 1943, on a vécu l'occupation. Les privations, les brimades de la part des troupes d'occupation. J'étais volontaire comme Agent de la Défense Passive. En cas d'alerte, de bombardements ; je devais me rendre à mon poste pour faire rentrer les gens dans les abris, secourir les gens.

J'en profitais aussi : ça m'a été utile lorsque j'ai fait de la Résistance, pour transporter des armes. Je le faisais, parfois accompagné par des Feldgendarmes qui eux faisaient leur tournée d'inspection. A ce moment-là, j'étais sûr que je ne serais pas inquiété par la police allemande.

Les bals étaient interdits. Le dimanche, on allait à la campagne avec un camarade qui jouait de l'accordéon. On se réunissait quand même. Des petite bals clandestins à Sainte-Marguerite, Saulcy. On était à pied à l'époque ! Il n'y avait plus de pneus pour les vélos. Tout était contingenté. Il fallait justifier d'une certaine profession. Quand on allait au cinéma, les Allemands contrôlaient les identités. Si on oubliait la carte d'identité, c'était l'arrestation. Certains se sont retrouvés quelques jours en prison à la Vierge à Epinal pour défaut de carte d'identité. D'autres se retrouvaient sur une liste d'otages.

 

Alors moi je suis rentré dans la Résistance officiellement le 10 octobre 1943, comme l'atteste le certificat F.F.I. J'avais 16 ans et demi.

 

Qui vous a contacté ?

Un camarade qui était aux Eclaireurs de France, un peu plus âgé que moi. Il avait besoin d'armes. Je lui ai remis des armes, des pistolets, et de là, j'ai été en contact avec la Résistance.

Les différents groupes étaient cloisonnés. Le groupe dont je faisais partie était commandé par le Pasteur Vallette : Jouvet, alias Capitaine Jouvet. Yvan Goguel, dentiste : Commandant Pons. Jacques Thouvenot, responsable direct du groupe (45 hommes). Les groupes : 1er groupe Thouvenot, arrêtés en janvier 44. 2ème groupe : d'action dont je faisais partie. Ce groupe comportait les 13 hommes qui ont fait partie de l'attaque du commissariat de Police de Saint-Dié et qui ont été fusillés le 27 avril 1944.

 

Qu'est ce qu'on vous a confié comme mission ?

De récupérer des armes, à différents endroits, qui n'avaient pas été remises aux Allemands, qui pourraient servir.

Un camarade, Albert Theisen, ajusteur chez Holweck, réparait les armes.

Notre groupe ne devait entrer en action que le jour J du débarquement. Avant, pas d'action spectaculaire.

 

Le 6 juin 44, vous avez reçu des messages ?

Le 6 juin 44, j'étais au Struthof !

 

On va revenir à cette affaire qui a motivé l'arrestation du groupe. Le 1er, groupe Thouvenot arrêté au mois de janvier 44. Ce groupe était chargé d'obtenir des cartes de ravitaillement pour ravitailler un groupe de Résistants qui étaient sur un chantier forestier dans la région de Fraize. Lorsque J. Thouvenot a été arrêté, la source des tickets d'alimentation s'est tarie.

Jean Dorner a pris l'initiative d'attaquer le commissariat de police. Les tickets d'alimentation y étaient dans la journée. En même temps, il s'agissait de récupérer leurs pistolets. Le rendez-vous a été pris le 20 février 44. Les camarades se sont rassemblés, moi je n'y étais pas. Ils se sont déguisés en blessés : pansements etc. Ils ont sorti leurs armes, ont sommé les policiers de leur remettre les tickets d'alimentation. Le sous-brigadier a dégainé. La réaction a été rapide. Un camarade a fait feu. Heureusement la balle a été arrêtée par le calepin du policier !

Voyant que ça tournait mal, ils se sont repliés. C'était un échec pour le groupe.

A la suite de ça, le groupe s'est trouvé arrêté : prison Charles 3 à Nancy.

 

L'arrestation

 

J'ai été arrêté le 30 mars 1944. Le rapprochement a été fait… J'ai été arrêté sur mon lieu de travail, Larger Barlier. Ils m'ont ramené à la maison, perquisitionné, trouvé 2 pistolets, des tracts anti-allemands, des munitions. C'était difficile de nier.

Ils m'ont amené à la Kommandantur, à Saint-Dié quai Jeanne d'Arc. L'interrogatoire, le 1er avril a été assez musclé, parce que, quand j'ai été interrogé au rez-de-chaussée, j'ai toujours nié. L'officier qui m'interrogeait : "Les jeunes français, vous ne voulez rien dire, nous allons vous monter dans une pièce au 1er étage et là, vous savez, on y fait des miracles. J'aime autant vous dire que je n'était pas brillant. J'avais 17 ans… Lorsque je suis entré dans la pièce, j'ai aperçu sur le bureau un nerf de bœuf, un bâton de noisetier. Quand j'ai vu ça, je me suis dit : vous pouvez y aller, ça m'étonnerait que je vous dise quelque chose.

J'ai été interrogé, battu. En désespoir de cause, arrivé à bout, j'ai sauté sur le bureau et je leur ai dit : "C'était pour vous taper dessus. les armes, bien sûr". Alors là, ils m'ont fait signer une déposition et ils m'ont ramené en prison Caserne Chérin.

Depuis la nuque jusqu'aux reins, c'était comme de la tôle ondulée. J'ai eu de la chance, car le champion des interrogatoires était en permission. Il y en a d'autres qui y sont passés : on leur arrachait les ongles, on leur écrasait les orteils à coups de bottes. Je peux considérer que j'ai eu un régime de faveur !

Après quoi j'ai été emmené à Epinal, à la prison de la Vierge. J'ai subi encore un interrogatoire musclé, qui a confirmé le premier, mais je n'ai jamais rien avoué.

. Je me suis trouvé en cellule avec Jules Mischler quand il est revenu de Tribunal. Il y avait un gardien derrière lui avec baïonnette au canon. Pas le droit de communiquer.

Le 26 avril, nos camarades du groupe du commando qui avaient attaqué le commissariat de police ont été ramenés de Nancy à Epinal. On les a mis dans une grande cellule, une grande pièce. On a cru qu'ils allaient tenter quelque chose dans la nuit, mais non. Ils ont écrit leur dernière lettre…

Et puis le lendemain matin à 7 heures, branle bas de combat dans les couloirs de la prison. On les a amenés aux toilettes, rasés, et puis le camion est arrivé, un camion bâché, on les a fait monter dedans. Nous on voyait ce qui se passait, il y avait une fenêtre qui donnait sur le couloir et l'endroit où arrivait le camion. Ils sont montés dans le camion dans lequel il y avait déjà les cercueils. Ils sont montés dans le camion en chantant la Marseillaise. Le camion a redémarré. Une demi heure après, on a entendu les rafales… Ils les fusillaient...

C'était le 27 avril 1944. Nos 13 camarades du groupe ont été fusillés.

La veille, nos camarades avaient eu droit à un colis de vivres. Le jour où ils ont été exécutés, ma sœur est arrivée, elle a été autorisée à me donner un colis de vivres. Quand ils sont partis, le gardien a dit : "Vous, morgen kaput". Alors j'ai dit à ma sœur : "tu ne dis rien aux parents, mais demain c'est notre tour".

Ensuite, j'ai été ramené en prison à Paris, Cherche Midi où je suis resté un mois. Un jour on nous a dit qu'on partait en Alsace pour faire du charbon de bois. En réalité le 1er juin 1944, c'était le départ, et l'arrivée au Struthof.

le struthof

 

Et c'est là que vous arrivez au Struthof en camions ?

En sortant de prison, ils nous redonnaient toutes nos affaires… Avec un canif, on a fait une entaille dans la bâche. On a vu des hommes en vêtements rayés, gardés par de S.S.

Où sommes-nous tombés ? C'est ça le charbon de bois dans la forêt ?

 

Vous aviez 17 ans. Est-ce qu'il y avait des gens beaucoup plus âgés ?

Oui, il n'y avait pas d'âge… Bien sûr, il y avait beaucoup de jeunes, entre 20 et 30 ans, mais aussi de 40 ans, 50 ans. Il y avait un homme de 70 ans, avec nous. Il avait été arrêté : il  était appuyé sur son fossoir, il regardait benoîtement des parachutistes qui descendaient. Il s'est trouvé là. Ils l'ont arrêté. Il était en prison avec nous. Il protestait de son innocence.

Il y avait aussi des Résistants, des officiers, des Généraux.

Le dimanche, on ne travaillait pas, on se mettait sur les marches… Un jour, j'étais assis à côté d'un monsieur bien plus âgé que moi. Il me dit : " Je suis le Général Frère". Je me mets au garde à vous. Excusez-moi, mon Général ! Il me dit " Tu sais , ici, j'ai le même grade que toi ! "

Le Général Frère était chef de l'Organisation de résistance de l'armée. Il est mort au Struthof. Il y avait le Général Delestraint, chef de l'armée secrète. Il y avait plusieurs Généraux, des officiers supérieurs.

 

Quel genre de travail vous faisiez, au Struthof ?

Je me suis retrouvé à la route. J'étais plein d'illusions, lorsqu'on passait au service anthropométrique, on nous demandait quelle était notre profession. Je vais dire que je suis cultivateur "bauer". Comme les agriculteurs savent manier la pelle, j'ai été versé dans les commandos de terrassement !

Le camp était construit pour 2000 hommes, on a été jusqu'à 8000 ! Il y avait des carrières, des sablières… Les conditions de travail étaient inhumaines, il fallait travailler sous les coups. Manque de nourriture, manque de repos. Avilir l'homme le plus possible.

 

Est-ce qu'on s'habitue à ces conditions-là ? La promiscuité ?

On était tous au même point. Je me souviens, il y avait un curé avec nous. Ils étaient en soutane à l'époque. Il s'est retrouvé comme nous, les cheveux tondus, le reste rasé, comme nous, nu comme un ver, curé ou pas curé.

 

Nous avons été évacués le 2 ou 3 septembre 1944. Nous avons été amenés à la gare de Rothau, dans des wagons à bestiaux, marchandises, et nous sommes partis en direction de Dachau.

 

Vous pourriez me parler de la descente du Struthof, jusqu'à la gare de Rothau ?

Nous sommes descendus par un temps épouvantable, le vent, conditions atmosphériques difficiles. A partir de la porte du camp, jusqu'à la gare de Rothau, il y avait une mobilisation importante de troupe. Il y avait un F.M. en batterie tous les 50 m. De chaque côté de la colonne, il y avait soit un S.S., soit par la police allemande, baïonnette au canon qui nous escortait jusqu'à la gare de Rothau. Impossible de pouvoir s'évader. Si on faisait un pas de côté, on était tout de suite rappelé à l'ordre.

 

Les gens du village vous ont vu descendre ?

Ils avaient fait fermer les volets aux gens du village de toutes les maisons qui sont au bord de la route. Malgré tout, on voyait… un mouchoir qui s'agitait.

 

En route pour Dachau, puis Allach, Aslach

 

Dons, nous sommes partis dans des wagons à bestiaux, à 100 par wagon. Je n'ai pas eu de chance, je suis tombé dans un wagon avec des gens qui avaient la dysenterie, "chiasseux" comme on disait à l'époque. Terrible, une odeur pestilentielle… Plusieurs sont morts pendant le trajet qui a duré 3 jours. C'était très difficile.

Arrivés à Dachau, il faisait une chaleur terrible. On a été mis sur la place d'appel, tous nus bien sûr, appel qui a duré plusieurs heures. Sortant des wagons dans l'état qu'on était, mis en plein soleil, certains tombaient comme des mouches. Après ils nous ont fait rentrer dans les douches. On s'est demandé si c'était de l'eau ou si c'était du gaz qui allait sortir  -  parfois c'était du gaz  -  heureusement pour nous c'était de l'eau. Et puis après on a été répartis dans des blocks de quarantaine. Je suis resté là 4/5 jours, et un jour, ils nous ont amenés à pieds dans un autre camp à Allach, de l'autre côté de Munich, 12/15 km. Ceux qui étaient dans ce camp travaillaient aux usines Junker aviation. Nous sommes restés là 2 ou 3 jours, couchés à même le sol. Et un soir, ils nous ont emmenés à une gare, wagons à bestiaux, et là, on s'est retrouvé à Aslach. Nous étions 400. Ils nous ont emmenés là, car il y avait des carrières souterraines, à 5 km de la ville, dans lesquelles les Allemands avaient l'intention d'installer leurs usines de V1, V2.

On devait  faire les chemins. On a commencé à déblayer les pierres. L'humidité était constante, l'eau nous tombait sur le dos. On travaillait dans des conditions difficiles. Il fallait faire 5 km à pieds le matin, et autant le soir. Dans la journée, un travail harassant. La nourriture, il n'y avait presque rien. La soupe arrivait par téléphérique, dans des bouteillons. A partir du moment où il a gelé, c'était de la glace. On cassait la soupe à la pioche, on en suçait les morceaux. Travail harassant, les coups, c'était vraiment terrible. Au bout de 6 semaines, il y en avait 150 qui étaient morts. Cela a duré jusqu'au mois de février 1945, on a passé l'hiver, un hiver terrible : le froid, la neige. On n'avait plus rien aux pieds, on se mettait des bouts de planche, on les attachait avec des sacs de ciment, des bouts de fil de fer. Pour marcher 5 km.

noël 1944 à l'infirmerie

 

A Noël, vous avez su que c'était Noël ?

Oui, justement à propos de Noël, j'avais fait une congestion pulmonaire, il y avait 2 médecins français déportés, mais il n'y avait pas de médicaments. Il y avait des "tablettes" mais on ne savait pas ce que c'était. Donc à Noël, j'étais à l'infirmerie. Les camarades sont rentrés un peu plus tôt. On nous a distribué des pommes de terre cuites avec l'épluchure, avec un peu de sauce goulasch. On nous a distribué ça à Noël ! Avec une pincée de tabac. C'était un festin pour nous, manger des pommes de terre. Après, ceux qui fumaient, et même ceux qui ne fumaient pas, on a roulé une cigarette, ceux qui ne savaient pas, c'est les camarades qui leur ont roulée, dans du papier à pansements. Et après on était assis sur les lits, on a chanté des chants de Noël, une partie de la nuit, et chacun s'est endormi en pensant au Noël de France pour nous, Noël de leur pays pour les autres.

 

Vous pensiez souvent à votre famille ?

Oui… moi sans plus. Je me disais : si tu rentres, tant mieux, si tu ne rentre pas, tant pis. D'ailleurs, à Aslach, je me suis cru perdu, une fois, j'ai pleuré. J'avais la dysenterie. Alors là c'était pas une fois, deux fois, trois fois, c'était au moins 30 fois dans la journée. Il y avait un infirmier, inspecteur de police, et lorsqu'on est arrivés, les Allemands lui ont confié une petite bouteille, pour la dysenterie.

Si un jour vous êtes coincé, bouffez du charbon de bois. Sur le lieu de travail, Les S.S. faisaient du feu, pour se chauffer, eux ! On ramassait du charbon de bois. J'ai mangé du charbon de bois pendant plusieurs jours. je ne mangeais même plus ma ration de pain. Au bout de quelques jours, j'ai dit : "Simon, je suis foutu !" "T'est foutu ? qu'il me dit, prend ton quart, viens"… Tiens, avale ça ! Et j'ai bu ça. 2 jours après c'était terminé. Je n'ai jamais su ce que c'était, j'ai toujours supposé que c'était de l'élixir parégorique, sans savoir. Il m'a dit "et alors ?" J'ai dit "ça y est, tu m'as sauvé la vie". Mais là j'ai cru que c'était fini. La seule fois que j'avais perdu le moral.

 

Résister pour survivre

 

Pour résister, dans les Camps de Concentration, c'était surtout une question de mental ?

Beaucoup. Il ne fallait pas se mettre en tête de convoi, ni à la fin. Il fallait se mettre au milieu. Alors moi, j'essayais toujours de me mettre au milieu.

On se faisait des plastrons avec du papier de sac de ciment. On n'avait plus de chemise, on n'avait plus rien. Ils nous interdisaient ça ! Quand on était en colonne, ils passaient et nous tapaient dessus avec un bâton. Si ça faisait un bruit de papier, c'était la schlague ! 25 coups sur le dos.

J'ai été à Aslach jusqu'en février 1945.

Charles LINK

 

Il y avait un camarade de Saint-Dié, Charles LINK, environ 55 ans. On avait touché des pardessus, des rayés, et quelques vêtements civils, des bons pardessus civils, avec les 2 N.N. Lui a touché un pardessus civil. "Viens, qu'il me dit, René, donne-moi ton rayé, tu prends mon manteau. On va changer les numéros, tu prends le mien". Je dis non. "Ecoute, René, c'est moi le plus vieux, c'est moi qui commande. Toi, il faut que tu rentres. Moi ça fait rien. J'ai fait ma vie moi, il faut que tu rentres, pour que tu dises ce qui s'est passé ici. Il faut qu'on le sache, il faut que tu rentres. Alors tu prends le pardessus." J'ai pris le pardessus. C'est un peu l'histoire de Saint-Martin.

Il n'est pas rentré. Il est mort pendant le dernier transport.

Il y a une rue à Saint-Dié qui porte son nom. J'ai tenu, moi, quand il y a eu des noms de déportés pour les rues de Saint-Dié, à ce qu'il y ait une rue à son nom. La rue porte le nom de Charles et Joséphine LINK, parce que sa femme est morte aussi là-bas. Ils ont été arrêtés tous les deux. C'était un militant communiste, un homme formidable. Je lui garderai une reconnaissance éternelle.

 

 

Donc nous avons évacué ce commando de Aslach au mois de février 1945. Beaucoup de gens de Saint-Dié venant de Gagguenau avaient été amenés à Aslach, travaillaient à Aslach au mois de décembre 1944. Ces gens ont été logés à l'intérieur du tunnel. Le jour où ils sont arrivés, les S.S. nous ont fait clouer un plancher dans un tunnel pour les héberger.

J'ai demandé s'il y avait des Vosgiens. Des vosgiens ! oui ! Des gens de Saint-Dié ! Oui !.. Le S.S. me voit, il m'attrape. Alors à midi, au lieu de soupe, j'ai eu 25 coups sur le dos. Ça m'est resté, l'arrivée des gens de Saint-Dié, qui eux sont restés dans les tunnels jusqu'à la fin.

 

Le 16 février 1945, les travaux du tunnel étant arrêtés, nous avons été transférés au Camp de Waigen, soi-disant camp de repos. C'était un mouroir infecte. J'ai attrapé le typhus. J'ai été libéré là. j'ai appris il y a quelques mois par Yvan Homel, que j'avais le typhus. Il m'avait lavé. J'avais donné mes rations de pain. J'étais dans le block du typhus.

J'ai été libéré là par l'Armée Française le 8 avril 1945. Le camarade Charles LINK a fait partie de ceux qui ont été évacués. Il est mort sur la route.

A Waigen, lorsqu'on a été libérés par l'Armée française, on a coupé les barbelés, on est partis en ville pour chercher de la nourriture, des vêtements. Les civils sont venus pour enterrer les morts dans le camp. Des morts partout. C'était affreux. Les "Sanitaires" de l'Armée sont arrivés. Ils nous ont désinfectés. On était plein de poux, de vermine. On a eu droit au D.D.T. On nous a emmenés à l'hôpital à Spire. Le Général de Lattre de Tassigny est venu nous rendre visite, au nom du Général de Gaulle. Il nous a apporté du champagne, à chacun un pyjama et un paquet de cigarettes. Il est venu près de moi. Il m'a dit : "D'où que tu es mon p'tit gars ?" J'ai dit : "Mon Général, je suis de Saint-Dié, dans les Vosges." Il m'a dit : "Tu sais, je ne voudrais pas te décourager, je suis passé il y a deux jours à Saint-Dié, il n'y a plus grand chose debout… Dans mon esprit, je me disais les parents habitent sur la côte de Dijon, il n'y a sûrement rien. En réalité, c'est les premières maisons de Saint-Dié qui ont sauté.

40 kg, 2 cannes, le retour à saint-dié en ruines

 

Comment s'est passé votre retour ?

Je venais de Strasbourg, la ligne de Strasbourg à Saint-Dié n'étant pas rétablie, je suis rentré par Nancy, puis Epinal. J'ai d'ailleurs retrouvé un camarade à Epinal. On a été interwievé par un journaliste. On était les premiers rapatriés.

Arrivé à la gare de Saint-Dié, je suis allé voir le chef de gare. "Voilà, je m'appelle Thalmann, mon père est retraité des Chemins de Fer, je ne sais pas où le trouver". J'étais avec mes deux cannes. Je ne peux pas aller plus loin". "On va voir où il habite".

Dans l'intervalle, je vois mon ancien patron, Robert Barlier. Bonjour… Qui tu es ? Je suis Thalmann, Monsieur Barlier. Pas vrai ! qu'il me dit.  Je pesais 40 kg, voyez à peu près, crâne rasé, les cannes. Bon, enfin, peu importe. le chef de gare s'est renseigné pour savoir où habitaient mes parents. Mon père n'était pas à la maison, ma mère était là.

Ma mère est venue. Elle ne me reconnaissait pas. "C'est toi René ? Mais c'est pas possible". "Mais oui, c'est moi" ! J'étais même en colère, qu'est-ce que c'est que ça ? Ah ! Je dis "Oui, bien sûr, tu ne me reconnais pas" ?

Nous avons traversé les voies… Mes parents habitaient dans une maison de jardin. Il y avait une pièce, une cuisine. Il y avait un lit… pour eux, bien sûr ! Le lit, il a fallu le dédoubler, j'ai couché sur le matelas. A ce moment-là, j'étais rempli de furoncles, je ne pouvais pas me coucher correctement. Je n'avais même pas d'assiette pour manger. Ils avaient chacun une assiette, un couvert. Bien sûr, la maison était dynamitée. Alors la joie du retour avait déjà été un peu atténuée. Vraiment, on avait perdu trop de camarades. Rentrer dans des conditions pareilles a été vraiment dur.

Je me suis présenté les jours qui ont suivi au Secours National, demandé des vêtements, au moins une assiette. On m'a distribué un couvert rouillé, on m'a donné une veste, les manches arrivaient là… Un pantalon qui arrivait aux mollets ! J'ai été déçu, vraiment déçu.

 

Le retour à la vie

 

Comment vous vous en êtes remis progressivement ?

Je suis allé trouver le médecin. Il m'a dit : "J'irai te voir à la maison". Il m'a donné des piqûres de sérum et d'eau de mer. Normalement, ce sont de grandes ampoules que l'on accroche au plafond. Il n'y avait pas le matériel pour ce genre de chose. On est allé trouver les Sœurs. Alors là, à la seringue, je devenais fou !

 

Qu'avez-vous mangé ?

Des laitages, des semoules, des purées de pommes de terre. Pas de viande, pas de vin. Du riz. Il fallait reformer l'estomac. Alors moi j'étais en colère, je voulais manger des pommes de terre, je voulais manger un beafteack… après aussi longtemps de privations ! Je voulais manger quelque chose . qui m'aurait plu ! Ma mère ne voulait pas, elle avait raison. Je ne me rendais pas compte. Il fallait me raisonner.

C'est revenu progressivement… au bout de 8 mois !

René THALMANN, déporté. Matricule 16982

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Visite avec René Thalmann au Camp de Concentration du Struthof, le 20 mars 2004.

 

Nous sommes ici à la gare de Rothau par laquelle arrivaient les convois de déportés, par train, et étaient acheminés au Camp du Struthof, à 6 km d'ici, soit par camions, soit par convois à pieds encadrés, bien sûr par des S.S.

Du 1er au 3 septembre 1944, la totalité des Déportés du Camp ont été évacués sur Dachau. Les wagons étaient stationnés sur ces voies. Le convoi du Struthof arrivait à pieds. Ils étaient enfermés dans des wagons, direction Dachau.

 

Et vous, M. Thalmann, vous êtes arrivé à quelle époque ?

Je suis arrivé ici le 1er juin 1944, non pas par wagons, la ligne de Strasbourg à Rothau avait été bombardée, mais en camion bâché.

 

Au Struthof

 

 

M. Thalmann, c'est par cette porte que vous êtes entré ?

Oui, c'était la porte par laquelle les déportés entraient. Dès qu'ils en avaient franchi le seuil, ils perdaient toute identité. seule restait l'identité de leur pays, la nationalité. Un numéro leur était attribué, qu'ils devaient apprendre en allemand lorsqu'ils étaient appelés. Il fallait qu'ils connaissent ce numéro par cœur.

Ici, 2 rangées de fer barbelé, dont une électrifiée. Il est arrivé que certains camarades, à bout, se précipitent sur ces fils barbelés. Ils étaient électrocutés.

Voyez les miradors : sur chaque mirador un S.S., armé d'un fusil mitrailleur, braqué sur le Camp jour et nuit. Il était interdit de sortir des blocks de nuit. Les S.S. avaient l'ordre d'envoyer une rafale de FM.

 

Vous pourriez m'expliquer ce qu'était un Commando ?

C'était un groupe de travail, soit intérieur au Camp, soit extérieur au Camp. Par exemple, le Commando de la route où je travaillais.

 

Quelle est cette partie, près des barbelés ?

Cette partie était appelée zone neutre. Lorsqu'un déporté pénétrait dans cette zone, par exemple tentative d'évasion, il était abattu. Les S.S., lorsqu'ils abattaient un déporté pour tentative d'évasion, percevaient 4 jours de permission et une prime. Il est arrivé que le S.S. en fonction dans le mirador et les S.S. qui gardaient les déportés se mettent d'accord : lorsqu'un déporté passait avec une brouette, le S.S. qui était à proximité lui envoyait un coup d'épaule, le déporté tombait dans la zone neutre et celui qui était dans le mirador en profitait pour l'abattre d'une rafale de mitrailleuse. 4 jours de permission !

 

Vous pourriez m'expliquer ce qu'étaient les N.N. ?

Les N.N., c'étaient les déportés Résistants français. Le Camp du Struthof comportait des déportés N.N.. La traduction Nacht und Nebel (Nuit et Brouillard). Ils étaient classés comme "morts vivants". Leur famille ne devaient pas savoir ce qu'ils étaient devenus. Pas de courrier, pas de colis, rien. Ils étaient condamnés à mort, mais devaient fournir une certaine somme de travail pour l'Allemagne.

 

Vous êtes ici dans le block qui comprend le four crématoire, une salle de douches chauffée par le four crématoire et une salle de désinfection.

C'est là que nous étions reçus à notre arrivée au Camp où nous nous étions bien sûr tondus, sur tout le corps. Ensuite on nous confisquait tous nos objets personnels et on nous remettait le vêtement rayé du Camp avec le numéro qui nous était attribué.

Lorsque nous avons été tondus, douchés, habillés, ils nous ont rassemblé devant ce block. Est arrivé un officier S.S. qui nous a déclaré en très bon français : " Vous êtes tous français de ce convoi, je tiens à vous faire savoir que vous êtes ici dans un Camp d'Extermination. Vous êtes entrés par la porte, vous sortirez par la cheminée. Voyez, elle fume ! On s'est tous retournés et on a vu, on a senti aussi. Il sortait une fumée nauséabonde. Un endroit qui ressemblait à l'Enfer.

 

Lorsque nous étions emmenés aux douches, environ une fois toutes les 2 semaines, nous déposions nos vêtements autour, là, à même le sol. Et nous entrions par cette porte dans la salle de douches. Après quoi nous ressortions par n'importe quel temps sans avoir été essuyés. Nous n'avions pas de serviette. Il fallait enfiler nos vêtements tout en étant mouillés.

 

Voilà le four crématoire, qui était utilisé pour incinérer les déportés. Il arrivait qu'on amène les déportés à l'aide de ce monte-charge. Les 2 déportés avaient chacun une grande pince, l'une à la tête, l'autre aux pieds. Le four était chauffé au charbon. Vu l'état squelettique des déportés, on y mettait parfois 2 ou 3 corps en même temps.

 

Et vous-même, vous avez eu l'occasion… ?

Non. Je n'ai pas eu l'occasion de rentrer ici pendant mon séjour au Struthof. Je ne serais pas là pour vous le dire.

Ici, au plafond, vous avez des crochets. Parfois, Les S.S.  venaient la nuit dans les blocks, prenaient 25 ou 30 déportés qui étaient amenés ici. Les S.S.  installaient un banc au sol, ils faisaient monter 4 déportés en même temps sur ce banc, leur passaient une corde au cou. Ils donnaient un coup de pied dans le banc et bien sûr les 4 déportés restaient suspendus.

On a même dit que certains ont été suspendus à ces crochets sous le menton, sans corde, ceci bien sûr les uns après les autres. Chacun voyait les camarades exécutés en attendant leur tour.

On pratiquait des expériences. Voyez la table de dissection.

Ce chevalet était destiné à la punition de certains déportés. Il y étaient attachés et on leur donnait 50 coups de bâton sur le dos. Le fait de s'asseoir sur le gazon constituait pour eux un acte de sabotage.

Ce chevalet était monté sur la place d'appel. Un S.S.  et le bourreau, ils tapaient avec la schlague. Il fallait que le déporté compte les coups. En Allemand !

 

Vous qui avez séjourné ici, quel a été le plus dur ?

Vous savez, le Struthof, c'était un Camp qui était vraiment dur. J'en ai connu 5… Ici c'était vraiment le Camp d'Extermination. C'était vraiment le massacre des gens sans aucune raison. Il y avait un sadisme qu'on n'a même pas connu ailleurs. Il y avait un S.S. , on l'appelait Fernandel. Lorsqu'il arrivait à proximité d'un déporté, accompagné de son chien berger, il demandait s'il était français, s'il était terroriste. Si on répondait "non", c'était la mort assurée. Il nous frappait, son chien achevait le travail.

 

Vous avez subit beaucoup d'agressions ?

Comme tous. Des coups. Par exemple, on était au commando de brouettes, on conduisait la brouette, vous aviez un S.S. qui venait derrière et qui vous donnait des coups dans les chevilles pour nous faire tomber avec la brouette. Des coups de bâtons.

A la route où je travaillais, j'ai vu assassiner un déporté à coups de pelle. Nous étions en train de déraciner une souche d'arbre sur un talus, et en face il y avait un S.S. Tout à coup il s'est précipité sur nous, il a ramassé une pelle et il a frappé un camarade qui a été pratiquement décapité. Bien sûr il était mort. Nous avons été éclaboussés de son sang.

 

Vous pourriez expliquer ce qu'est souffrir de la faim ?

Ah ! Souffrir de la faim. C'est déjà une certaine douleur au creux de l'estomac bien sûr, mais c'est surtout se représenter des plats, des bons plats, des poulets bien dorés… Vous avez une hallucination… Entre nous on parlait de nos provinces, de nos régions. Chaque région a un plat typiquement régional. On inscrivait des recettes sur des bouts de papier de sacs de ciment, et là on salivait. C'était une obsession, une hallucination.

 

Nous sommes ici sur la place d'appel ?

Là vous avez une potence qui était utilisée notamment s'il y avait tentative d'évasion. Le déporté montait sur la trappe, derrière, il y a une pédale. On passait la corde au cou du supplicié. Le S.S. pressait sur la pédale, le corps restait suspendu. Ça se passait pendant les appels. On voyait bien entendu le pendu, on voyait ses derniers soubresauts. Et ensuite on devait, par blocks, en file indienne passer devant et regarder le corps du pendu.

 

Vous-même, vous avez assisté ?

Oui, j'ai assisté au moins à 3 pendaisons. Ils frappaient les gens qui détournaient la tête. C'était pour servir d'exemple.

 

Alors ici, nous sommes à l'endroit où vous dormiez ?

Oui. Sur ces chalits munis d'une paillasse en sciure, nous couchions à 5 sur 2 chalits accolés. Nous ne pouvions pas nous coucher côte à côte et nous étions obligés de nous coucher tête-bêche. Certains camarades étaient obligés de dormir sur le sol. Moi, je cherchais toujours à me mettre au-dessus.

 

Est-ce que vous avez vu des Vosgiens arriver dans le Camp ?

Ah oui, pas mal de camarades qui ont été pris au maquis de Corcieux. Plusieurs sont arrivés ici. On s'est suivi ensuite dans tous les Camps.

marcel thomas

déporté

jean mathieu

malgré nous

rené thalmann

déporté

albert baradel

malgré nous

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